Climat : le piège de l’énergie abondante

La paléoanthropologie est la science qui étudie l’évolution de la lignée humaine. Elle nous donne à réfléchir sur notre histoire longue et notre situation actuelle.

On retiendra que l’homme a commencé à modifier durablement son environnement à partir de sa sédentarisation. Cet ancrage territorial est devenu possible avec l’agriculture et l’élevage. La sédentarisation a permis de construire des infrastructures plus durables dont il reste encore aujourd’hui des traces.

Comment l’accès à l’énergie a modifié l’organisation humaine ?

L’énergie est une grandeur quantifiée en kW.h (kilowatt-heure) sur nos factures d’électricité et de gaz. Bien que très abstraite, l’énergie peut être vue comme une façon de quantifier les modifications qui peuvent être apportées au monde qui nous entoure.

Au commencement, l’énergie accessible était issue de notre corps. Nous avons deux bras et deux jambes pour agir. Avec une paire de bras, un humain est capable en moyenne de fournir 0,1 kW.h et avec une paire de jambes 1 kW.h en une journée*. Dans un monde agricole, cette énergie est tellement faible que tous les membres d’une collectivité étaient réquisitionnés lors des travaux des champs.

* Une journée de travail = 10 h à fournir une puissance de 10 W avec les bras ou 100 W avec les jambes

Par la suite, la domestication a permis à l’homme d’accéder à la traction animale. Nous gardons aujourd’hui encore le souvenir de cette période lorsque la puissance d’une voiture est exprimée en chevaux (ch). Une journée de traction animale fournit en moyenne une énergie de 7,5 kW.h, un cheval permet donc à la personne qui guide l’animal de produire le même travail qu’une petite dizaine de personnes.

Avec la traction animale, une bonne partie de la population n’a donc plus eu besoin de participer aux travaux des champs pour assurer sa survie alimentaire. L’artisanat a pu alors se développer, les humains se sont spécialisés sur d’autres tâches ; la confection de vêtements, d’outils, la construction, le commerce …

Un nouveau pas est franchi avec l’arrivée de la machine à vapeur. Bien que l’idée d’utiliser la vapeur d’eau pour actionner des machines remonte à l’antiquité (Héron d’Alexandrie), le premier brevet a été déposé en 1606 par l’espagnol Jerónimo de Ayanz y Beaumont.

Jusque là, la source d’énergie était l’alimentation, que ce soit pour un humain ou pour un animal, le caractère renouvelable de cette énergie était imposé par la production agricole pour l’essentiel.

Avec les premières machines à vapeur, fonctionnant au bois, il devient alors possible d’utiliser des machines produisant 6 ch, c’est-à-dire fournissant 45 kW.h d’énergie en une journée. Cette machine remplace donc 45 paires de jambes qui s’activent ou 450 paires de bras.

Avec James Watt, les machines se perfectionnent et le bois qui alimentait les chaudières des machines est progressivement remplacé par du charbon.

En 1941, Big Boy, la plus puissante locomotive à vapeur construite, atteint 5.000 ch soit 37.500 kW.h d’énergie pour une journée. Elle remplace donc 37.500 paires de jambes humaines !

Toujours plus gros, le paquebot Queen Mary 2 (QM2) est équipé de moteurs d’un total de 157.000 ch, c’est l’équivalent de 11,8 millions de paires de bras qui rameraient en même temps …

A l’heure de la mondialisation, une très grande partie de nos biens voyagent sur de très gros portes-conteneurs à travers les océans, il faut prendre conscience que si les 8 milliards d’habitants de notre planète étaient en capacité de ramer, nous aurions au maximum 667 portes-conteneurs de taille équivalente au QM2. Or en 2020, c’est environ 1.600 portes-conteneurs de la taille du QM2 qui se chargent de transporter nos marchandises.

Dès lors, notre modèle économique mondialisé semble intimement attaché à l’accès à une énergie abondante permettant aux machines de nous remplacer.

Où est le problème ?

A l’époque de la révolution française, les forêts ne couvrent plus que 10 à 12 % du territoire métropolitain. L’usage intensif du bois ne permet plus à la forêt d’être une ressource renouvelable. Rappelons nous que lorsqu’un hêtre est coupé, il faudra patienter environ 150 ans pour couper son remplaçant.

Pour poursuivre le développement des machines à vapeur, il était indispensable de trouver un autre combustible. Le charbon (encore appelé houille) a alors pris le relais. Le problème du caractère renouvelable de cette ressource s’aggrave. En effet, il a fallu entre 300 et 500 millions d’années pour que celui-ci se forme. A l’échelle de l’humanité (environ 300.000 ans) c’est une éternité !

Les autres ressources dont on tire de l’énergie ne sont pas plus renouvelables. Il faut 60 millions d’années pour former le pétrole et le gaz naturel. L'uranium de nos centrales, quant à lui, s’est formé lors de l’explosion d’une supernova et sa quantité sur Terre ne cesse de diminuer depuis sa formation il y a 4,5 milliards d’années.

Qu’est-ce qu’une énergie renouvelable ?

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »

Antoine Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 1789 

D’un point de vue de la physique, toute l’énergie était présente dès la naissance de l’Univers et sa quantité n’a pas changé depuis. Ce qui change, c’est la forme qu’elle prend.

A l’échelle de l’humanité, une énergie renouvelable est une énergie qui sera « toujours » disponible. Dans notre cas, c’est l’énergie lumineuse provenant du Soleil. Elle arrive sur Terre depuis la naissance de celle-ci et devrait encore arriver durant les 6 milliards d’années à venir.

Cette énergie alimente toute source de vie. Par l’intermédiaire de la photosynthèse, les végétaux la transforment en énergie chimique à laquelle nous accédons par la digestion de notre alimentation.

Nous sommes également capables de convertir une partie de cette énergie lumineuse en énergie électrique à l’aide de panneaux photovoltaïques et l’énergie provenant du Soleil est également à l’origine des vents que les éoliennes transforment en électricité.

Perspectives

Avec l’épuisement du pétrole et du gaz naturel, c’est le charbon qui serait un moyen d’y palier. C’est déjà le cas chez nos voisins allemands qui ont pris la décision de sortir du nucléaire et qui sont privés du gaz russe depuis le conflit en Ukraine.

Mais le problème est de taille. En effet, le charbon est la pire source d’énergie d’un point de vue des gaz à effet de serre et d’un point de vue de la pollution atmosphérique (phénomène de smog) et des problèmes de santé que cela engendre.

Les états tardent à s’engager dans la transition énergétique. A l’échelon local, Grand Besançon Métropole s’est fixé des objectifs à travers son plan climat :

Réduire la consommation d’énergie d’un facteur 2 et atteindre 100% d’énergie renouvelable d’ici 2050.

C’est à la fois nécessaire pour le climat, pour nous affranchir de notre dépendance aux énergies fossiles, mais c’est également très ambitieux !

Que dire du prix de l’énergie ?

A ce jour, le prix d’un kWh d’électricité en France pour les particuliers est de 0,174 € TTC aux tarifs réglementés.

Pour prendre la mesure de ce que cela représente, une expérience a été menée :

Au prix d’un effort hors norme, Robert Förstemann, un cycliste professionnel, a pédalé pour produire les 700 watts d’électricité nécessaires pour toster une tranche de pain de mie dans un grille pain durant une minute.

Lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=S4O5voOCqAQ&t=194s

A l’issue de cet effort, on voit l’athlète obligé de s’allonger sur le sol pour récupérer.

Force est de constater que le coût énergétique nécessaire pour une simple tartine grillée est hors de porté de la plupart d’entre nous.

Mais combien cela coûte-t-il en électricité ?

L’énergie fournie par Robert Förstemann en une minute est de 0,021 kW.h facturée 0,003654 € au prix réglementé, c’est à dire moins de un centime d’euro.

Admettons que Robert Förstemann soit capable de soutenir cet effort 8 h par jour et que ce soit son travail. Il fournirait 10,1 kW.h par journée de travail et au prix actuel de l’électricité, il serait rémunéré 22 centimes de l’heure.

D’une certaine manière, on peut en conclure que l’énergie est très peu chère. Or ce qui est peu cher et abondant conduit inévitablement à un usage sans restriction. Et c’est ainsi que s’est modelée notre société. Nous pouvons habiter loin de notre lieu de travail (recours à la voiture individuelle), nous pouvons partir en vacances à l’autre bout du monde (recours à l’avion), nous pouvons avoir une maison individuelle plutôt qu’un logement collectif, notre habitation n’a pas besoin d’être très bien isolée …

Jusqu’au jour où …


L’accès à l’énergie devient plus difficile, que ce soit par le prix ou par l’accessibilité.
Depuis octobre 2018 et le début du mouvement des gilets jaunes, qui a démarré à l’issue de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, nous constatons l’effet de cette tension sur le corps social.

La Cigale et la Fourmi

Jean de la Fontaine, en fin observateur de la société, n’a pas manqué de dresser ce portrait peu flatteur de ses contemporains.

Mais en 2022, la situation n’a pourtant guère évolué. Il y a les convaincus que chacun doit faire des efforts et les convaincus que les autres ne font pas d’effort, cela ne sert à rien que j’en fasse.

Chacun d’entre nous oscille entre ces deux états d’esprit ce qui est bien naturel. Faire des efforts, c’est accepter de renoncer à quelque chose d’accessible. Cela demande une détermination que nous n’avons pas toujours.

Notre humanité est pourtant la clé psychologique à cette situation difficile. Faire des efforts, c’est faire action de solidarité avec nos proches, et en particulier nos enfants qui nous survivrons, mais également avec d’autres régions du monde dont l’accès à l’énergie est déterminant pour l’accès à l’eau et au développement.

Donner du sens à nos décisions, à nos actions est sans doute une des meilleures façons de s’inscrire dans le temps long. Et nous en aurons besoin pour mener à bien notre objectif jusqu’en 2050.

Article publié sous Licence Creative Common

CC-BY-NC-SA - RAVEL Christophe  - décembre 2022



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